Les temps sont durs pour l’Eglise
catholique. La barque de Pierre tangue, secouée par la tempête
médiatique. Ce n’est pas la première fois, ce n’est pas la dernière.
Le Pape Benoît XVI est mis à rude épreuve. Sa très belle lettre
envoyée aux évêques du monde entier n’a pas suffi à calmer les vents
contraires. Je souffre avec lui. Sans doute le ton de ces lignes
s’en ressentira-t-il ! Je prie pour lui, dans sa mission au
service de l’Eglise. Des catholiques aussi se posent des questions,
sont saisis par le doute ou crient leur colère. C’est d’abord à eux
que je veux m’adresser.
Disons-le clairement, pour être
catholique, il n’est pas obligatoire d’adhérer sans réserve à chaque
phrase, à chaque cédille de chaque déclaration pontificale. Mais
l’exercice de notre liberté d’appréciation a aussi ses exigences et,
sans prétendre être exhausif, je voudrais en suggérer ici
quelques-unes. Il me semble que leur application dégonflerait
"l’affaire" de 99% !
Ne pas s’enfermer dans la
rancoeur : Spirituellement, elle nous
fait du mal. Pour sérieuses qu’elles soient, les difficultés
évoquées ne sont pas le tout de la vie de l’Eglise ni du pontificat
de Benoît XVI. Ne nous laissons pas aller à ruminer indéfiniment ces
épreuves. N’oublions pas, par exemple, tout ce que le Pape a donné à
l’Eglise en France lors de sa récente visite. Regardons, contemplons
ce qui est beau dans la vie de notre Eglise. L’attitude première des
chrétiens, nourrie dans l’Eucharistie, est précisément l’action de
grâces. Mobilisons-nous pour vivre au mieux ce qui dépend de chacun
de nous. L’Eglise sera plus belle encore si chacun de nous, là où il
est, porte témoignage à l’Evangile d’amour. Cela ne dépend de
personne d’autre que nous.
Garder l’humilité dans le
jugement :Celui qui veut souligner le
caractère relatif des points de vue d’autrui jusqu’à les contester,
doit garder un ton mesuré dans ses propres appréciations dont il
mesure, pour elles aussi, le caractère tout relatif. Ce n’est pas ce
que j’entends toujours ces jours-ci : "il a oublié
l’Evangile... si Jésus revenait". Qui peut prétendre ainsi, se faire
juge de la foi de son frère ? Ces jugements outranciers,
péremptoires, absolus sont toujours déplacés vis à vis de quiconque.
Ils le sont plus encore entre frères chrétiens, tous habités du même
Esprit. Ils blessent la communion. Ils sont odieux pour des
catholiques lorsqu’ils visent celui qui a reçu mission d’affermir
ses frères dans la foi. Ils constituent finalement, si l’on va
jusqu’au bout de leur logique, une forme de dénégation du ministère
de Pierre.
S’informer
sérieusement : Nous le savons bien, les
média ont leur logique, celle de l’urgence, du sensationnel, de la
simplification, parfois même du simplisme. Leurs messages cherchent
souvent à coller à ce que l’opinion publique désire entendre ou à ce
que des groupes de pression désirent lui imposer. Notre devoir
d’information sérieuse est d’autant plus impérieux lorsque nous
sommes, à la première écoute ou à la première lecture, choqués par
ce que nous comprenons des décisions ou des propos du Pape tels que
nous les rapportent les média. Soyons circonspects à l’écoute des
flashs du journal de 20 heures, indéfiniment répétés sur les ondes,
avec des jugements assénés sur le ton d’une évidence entendue. La
petite phrase citée, éventuellement tronquée, tirée de son contexte
peut prendre un sens tout autre que celui qu’a voulu lui donner son
auteur. Des hommes politiques aussi font les frais de ces
manipulations. La petite phrase vient souvent en réponse à une
question : laquelle ? Elle prend place dans un
développement dont elle n’est pas toujours la pointe. Lisons le
texte dans son intégralité ; ou bien, ayons l’humilité de nous
taire !
Eviter les mots
englobants qui créent l’ambiguïté et jettent le
discrédit, parfois inconsciemment mais parfois aussi à dessein. J’en
ai relevé au moins deux ces jours-ci et je n’imagine pas qu’écrits
par des plumes affûtées leur usage ait été complètement
innocent.
"Rome" : de qui
veut-on parler ? Du Pape, du préfet ou du secrétaire d’une
congrégation romaine, d’une source généralement bien informée ?
On voit bien que le flou est utile pour faire porter au Pape, sans
le dire, d’éventuels dysfonctionnnements dont il n’est pas toujours
directement responsable.
"L’Eglise" : j’ai été
étonné de voir attribuées à "l’Eglise", sans plus de précision, des
déclarations ou décisions fort malheureuses prises isolément par un
évêque, déjugé d’ailleurs par la conférence épiscopale de son pays
et l’autorité romaine compétente. Le Pape ne s’est pas exprimé à ce
sujet. Le Concile Vatican II m’a enseigné une autre conception de
l’Eglise. Je m’étonne donc d’entendre les "défenseurs" du Concile
s’exprimer de cette manière. L’utilisation de ce mot, dans ce
contexte, n’est sûrement pas sans arrière-pensée. Soyons précis si
nous ne voulons pas jeter le discrédit injustement sur l’Eglise
toute entière.
Eviter les amalgames et les
raccourcis. Il n’en pas manqué ces
derniers temps. Les divers événements qui ont fait difficulté (levée
des excommunications, déclarations négationnistes de Mgr Williamson,
excommunication suite à un avortement à Recife, déclaration de
Benoît XVI au sujet du sida et du préservatif) et qui n’ont rien à
voir entre eux, sont artificiellement rapprochés pour faire système
et brosser du Saint-Père un portrait réactionnaire et hostile au
Concile Vatican II. Ce procédé a pris parfois un ton odieux qu’il
faut dénoncer : "Benoît XVI a réintégré un évêque
négationniste. Il veut béatifier Pie XII. Il est allemand. Les
choses sont claires : ce Pape est nazi". Je n’invente pas.
C’était en substance le contenu d’un éditorial sur une radio qui
contribue largement à faire l’opinion. Sans aller jusqu’à cet
extrême, on a souvent raisonné de cette manière ces
temps-ci.
Le
Pape a évidemment mis le comble au scandale par ses déclarations sur
le sida et le préservatif, dans l’avion qui le conduisait au
Cameroun. Que n’a-t-on pas entendu ! Que d’indignation dans le
monde du "sexuellement correct" ! Je ne prétends pas traiter
cette question difficile. J’en mesure la complexité éthique. Je
n’oublie pas la souffrance de ceux qui sont touchés par la terrible
maladie du Sida, le dévouement de ceux qui les soignent, le travail
des chercheurs, les lourdes responsabilités des dirigeants
politiques.
Je me pose malgré tout quelques questions :
Pourquoi cette question ne peut-elle pas être abordée plus
sereinement en particulier en France ? S’il demeure un tabou,
c’est bien celui-là ! L’idéologie du "tout préservatif"
interdit de poser la question, pourtant humaine capitale, de la
responsabilité des personnes dans leur vie sexuelle et de
l’engagement de leur liberté. Il n’en est pas ainsi dans tous les
pays : on a pu lire dans le métro d’une capitale d’Amérique
latine des affiches qui disaient ceci : "la fidélité, le
préservatif, le sida, tu choisis". Une telle question publiquement
adressée aux consciences est impensable chez nous :
pourquoi ? Il semble que notre société n’ait d’autre horizon à
proposer aux jeunes que celui d’un vagabondage sexuel au moindre
risque et que nous ayons abdiqué toute ambition éducative dans ce
domaine. Des parents et des jeunes souffrent de cette situation. Cet
hédonisme est facile. S’il rendait les jeunes plus heureux, cela se
saurait !
Pourquoi ne nous dit-on pas qu’en
Afrique, des voix s’élèvent, parmi les responsables d’Eglise, mais
aussi parmi les dirigeants politiques, pour reprocher aux pays
dévelopés d’imposer leur manière de vouloir traiter la question du
sida, dans une attitude teintée de néo-colonialisme ? Des chefs
d’Etat d’Afrique ont choisi une autre voie, celle précisément de
l’appel à la responsabilité humaine, à la fidélité et ont engagé des
programmes d’éducation en ce sens. Ils commencent à en voir les
fruits.
Pourquoi ne nous dit-on pas qu’au cours de
ces quinze dernières années, ce sont les pays où l’influence
catholique est la plus forte qui ont obtenu, sur le continent
africain, les meilleurs résultats dans la lutte contre le
sida ? (chiffres communiqués par l’O.M.S.).
Pourquoi ne
nous dit-on pas que l’Eglise Catholique est, dans le monde,
l’institution qui est à l’origine du plus grand nombre d’initiatives
pour soigner et accompagner les victimes du Sida : 26% d’entre
elles sont soignées ou suivies dans des institutions d’origine
catholique.
Le Pape l’a rappelé avant d’arriver au Cameroun.
Curieusement cette information a été peu diffusée. Comme son appel
d’ailleurs à la solidarité internationale pour que les traitements
contre le sida soient acheminés gratuitement vers
l’Afrique.
Cette question, sensible entre toutes et on le
comprend, est symptomatique de la manière dont la parole du Pape est
reçue, accueillie ou méprisée. S’il peut toujours y avoir une part
de maladresse dans l’expression, la brutalité du rejet traduit
pourtant la difficulté de nos sociétés à entendre une parole qui les
conteste parce qu’en réalité elles se savent fragiles et
incertaines.
La parole annoncée suscite contradiction et
rejet. Elle n’est pourtant pas annoncée en vain. C’est l’expérience
des prophètes d’Israël. C’est celle du Christ dont nous allons
célébrer la Pâque. La parole de l’Eglise est en même temps exposée
et fragile comme le condamné du Vendredi-Saint, féconde comme le
Ressuscité de Pâques.
Prions donc pour le Pape Benoît XVI.
Que Dieu lui donne les sept dons de son Esprit pour affermir ses
frères.
+ Bruno
GRUA